Un chantier ambitieux
A partir de 1939, l’Allemagne nazie développe un nouveau type de missile. La fusée V2 est considérée par Hitler comme une «Wunderwaffe », une arme miracle qui doit changer le cours de la guerre. En 1942, Hitler ordonne la construction dans le nord de la France d’un blockhaus pour le montage et le lancement de ces fusées V2 à destination de Londres.
Le site d’Eperlecques est choisi pour les facilités qu’il offre pour l’acheminement des matériaux de construction : les réseaux ferré, routier et fluvial mais aussi électrique sont bien développés.
Franz Xaver Dorsch, directeur de la construction de l’Organisation Todt, conçoit les plans d’un immense blockhaus, qui intègrera une usine de production d’oxygène liquide, nécessaire à l’alimentation des fusées.
Les travaux débutent en mars 1943, sous le nom de code « Kraftwerk Nord West » (centrale électrique du nord-ouest). Les autorités allemandes font appel à la main d’œuvre locale, à des requis du STO et à des prisonniers de guerre. Les travailleurs non allemands sont logés dans deux camps à proximité de la commune d’Eperleques. Plus de 35 000 ouvriers étrangers ont travaillé sur le site pendant les 6 mois de la construction. Les ouvriers interviennent par groupes de 3 ou 4 000, pendant des périodes de 12h. Le chantier ne s’arrête jamais, le travail s’effectue la nuit sous de puissants projecteurs.
Un projet contrecarré
Dès le mois de mai 1943, des avions de reconnaissance de la Royal Air Force repèrent le chantier. Les Alliés ignorent la finalité des chantiers de constructions repérés dans le Nord-Pas-de-Calais mais, comme l’indique Lord Cherwell, conseiller scientifique de Churchill : « si l’ennemi juge utile de prendre la peine de les construire, alors il semblerait utile que nous les détruisions ». Un premier bombardement a lieu en août 1943. Le site sera bombardé 25 fois entre août 1943 et août 1944.
Du fait des attaques répétées, le rôle initialement prévu pour le site évolue. La partie nord, qui devait servir de base de lancement, est trop endommagée par les bombardements. Le chantier de la partie sud est lui poursuivi pour la création d’une usine de production d’oxygène liquide. Cet oxygène devait alimenter un autre site alors en construction à Wizernes.
Face aux bombardements, les Allemands adoptent la méthode dite de la tortue. Une épaisse carapace protectrice de béton est coulée au niveau d’avancement des élévations, carapace qui est progressivement relevée au fur et à mesure des progrès du chantier. Il s’agit d’une dalle de 5m épaisseur et de 37 000 tonnes.
Malgré cette précaution, le chantier n’est jamais achevé.
L’abandon du site
Le 6 juillet 1944, l’intérieur du blockhaus est dévasté par une bombe Tallboy. Le 18 juillet, Hitler ordonne l’arrêt des chantiers de sites de lancement de missiles depuis des bunkers. Les équipements de production d’oxygène liquide d’Eperlecques sont transférés en Allemagne. On continue cependant à faire quelques travaux pour tromper les alliés.
Le site est pris par les troupes canadiennes le 4 septembre 1944. Les Allemands l’avaient abandonné quelques jours plus tôt en le rendant en grande partie inaccessible : ils avaient retiré les pompes qui évacuaient l’eau des fondations.
En février 1945, les Alliés testent sur le blockhaus la nouvelle bombe à charge pénétrante Disney. Celle-ci n’est retirée du toit où elle s’était fichée qu’en 2009.
A l’abandon pendant plusieurs années, le site est ouvert au public en 1973. Il est classé monument historique en 1986. Au cœur d’une zone reboisée mais qui laisse deviner les cratères de bombardements, la visite du blockhaus est jalonnée de documents sonores et visuels et d’équipements militaires de la Seconde Guerre mondiale.