Les ressources en ligne des musées L'oeuvre du mois Netsuke en bois polychrome représentant un acteur de Nô

UN PETIT OBJET QUI A FAIT DE GRANDS VOYAGES…

Déposé par le musée du Louvre et inscrit indirectement à l’inventaire du museum de Saint-Omer en octobre 1907 sous la mention « Série de 66 Netsukés (pendeloques) - bois et ivoire. 18e et 19e siècle », ce netsuke faisait partie de la collection d’Emmanuel Tronquois (1855-1918), alors pionnier des études sur l’art japonais, achetée et offerte au musée du Louvre par M. Lebaudy. En 1945, il est transféré, avec l’ensemble des collections asiatiques du musée du Louvre, au musée Guimet, qui devient le Musée national des arts asiatiques - Guimet.

Du Japon à Saint-Omer, en passant par Paris, ce petit objet continue encore de voyager puisqu’il a récemment été prêté à l’Abbaye de Daoulas (Bretagne, Finistère) dans le cadre de l’exposition intitulée « Tous des sauvage ! Regards sur la différence » (27 avril – 11 novembre 2013).

UN NETSUKE, QU’EST-CE QUE C’EST ?

Le mot netsuke (« ne » = « racine » ; « tsuke » = « attacher » et donc littéralement « racines attachées à une autre chose ») désigne un gros bouton permettant de suspendre par un cordon de petites boîtes dénommées sagemono (« objet suspendu »). Il peut s’agir notamment de boîte à médicaments ou à sceaux (inrô), de blague à tabac, d’étui à pipes (kiseru-zutsu), de nécessaire à écriture (yatate). En effet, le kimono n’ayant pas de poche, ce système permet de transporter sur soi des objets quotidiens. Le sagemono est suspendu à l’obi (ceinture) de son propriétaire par une cordelette afin de ne pas glisser hors de la ceinture. Par sa forme et son volume, le netsuke, placé au-dessus du bord supérieur de l’obi, sert donc à maintenir le sagemono et fait office de taquet. L’ojime, une petite bille sculptée ou non, maintient la cordelette passée à travers le netsuke (ill. 2).  

Ill. 2 Dessin figurant le netsuke qui maintient un inro fiché dans l’obi

Ces objets ne se portaient qu’en ville ou chez soi et non lors des réceptions officielles de la cour où tant les comportements que les costumes étaient strictement codifiés. Ils connurent leur âge d’or durant l’époque d’Edo (règne des Tokugawa entre 1603 et 1867).

Essentiellement en bois, porcelaine, ivoire ou encore en métal, les netsukes étaient fabriqués à l’origine par les laqueurs, les ivoiriers, les ébénistes qui confectionnaient également les objets auxquels ils s’attachaient. Puis, face à la demande croissante en netsuke, des artisans, appelés netsuke shi, se sont spécialisés dans leur fabrication.

Les netsukes sont toujours de petite taille (entre 3 et 8 cm) et comportent deux himotoshi, orifices permettant de faire passer le netsuke dans la cordelette (ill.3). Objet utilitaire, leur forme doit être suffisante pour bloquer le cordon dans l’obi. En outre, ils ne doivent pas être trop lourds ou trop volumineux afin de ne pas gêner l’exécution des tâches quotidiennes.  Enfin, le netsuke doit être compact et ne pas posséder d’aspérités qui pourraient accrocher ou fragiliser l’étoffe.

Ill. 3 Netsuke en bois polychrome représentant un acteur de Nô – Revers, détail avec les himotoshi

Les netsukes adoptent différentes formes, parmi lesquelles les katabori en forme de sculpture, les manju en forme de petit gâteau rond,  les kagamibuta en forme de bol avec un couvercle en métal.

Les netsukes figurent des thèmes variés : divinités, démons, humains, animaux réels ou imaginaires, végétaux, objets divers.

UN NETSUKE FIGURANT UN ACTEUR DE NÔ

Ce netsuke en bois polychrome, mesurant 5 cm de haut et  3 cm de large, figure un acteur de nô. Ce dernier est vêtu d’un costume coloré et orné de motifs géométriques ainsi que de petites fleurs. Il porte une coiffe rouge divisée en trois parties qui retombent sur chaque épaule et sur le dos.

Il tient un éventail dans la main droite. L’expression de son visage est sérieuse, bien marquée par la taille du sculpteur. En effet, les traits sont très incisifs, taillés de manière très droite et presque sans courbe si ce n’est pour la coiffe et la partie inférieure de la tenue.

Inscrit en 2008 au patrimoine immatériel de l’UNESCO, le théâtre nô est un drame lyrique japonais combinant la musique, la danse et la poésie. Les acteurs évoquent par leur danse les actes de héros venus du monde réel ou de leurs esprits revenus sur terre. Les dialogues en prose alternent avec des récitations lyriques confiées à un chœur de 6 ou 8 choristes, accompagnés par un ensemble de 4 musiciens.

Bien que notre acteur ne semble pas en porter, l’accessoire le plus connu de l’acteur de nô est le masque. Par contre, à l’image de notre acteur, tous les personnages entrant sur scène, y compris les musiciens, sont dotés d’un éventail dont les motifs renseignent sur la nature et l’humeur du personnage.

Les musées de Saint-Omer sont dépositaires d’un second netsuke figurant un acteur de nô et de style similaire (ill.4).

Ill. 4 Netsuke en bois polychrome représentant un acteur de Nô Anonyme, Japon, 19e siècle, bois polychrome, D. 07.1.24 (3) ; Musée national des arts asiatiques - Guimet, Saint-Omer, musée de l’hôtel Sandelin, inv. 7492

L’ENGOUEMENT OCCIDENTAL POUR LES NETSUKES AU XIXe SIECLE

Au cours de l’ère Meiji (1868-1912), le Japon s’ouvre au monde. Le port du kimono traditionnel est abandonné au profit du costume occidental tandis que les Occidentaux montrent un engouement particulier pour le Japon. Le netsuke perd peu à peu son utilité. Pourtant la qualité artistique de certains de ces objets pousse des japonais à les collectionner.

De même, au cours de leurs voyages, des occidentaux s’initient aux arts et aux traditions du Japon et ramènent en Europe des objets et œuvres d’arts qui constitueront la base de collections. Ainsi, Emile Guimet (1836-1918) se spécialise dans les objets d’art asiatiques et transfère ses collections dans le musée qu’il fait construire à Paris et inauguré en 1889.

Les netsuke-shi continuent à sculpter en respectant l’iconographie traditionnelle même si le netsuke a perdu sa fonction utilitaire. Quelques libertés sont parfois prises, l’ornementation très minutieuse et délicate de certaines pièces met en évidence la virtuosité de l’artiste mais rend la petite sculpture bien trop fragile pour imaginer son utilisation sur un vêtement. Le canal créé pour faire passer le cordon et qui caractérise l’aspect utilitaire du netsuke est maintenu. Mais on remarque sur certaines pièces que l’emplacement de l’himotoshi sur la statuette ne tient plus compte de la manière dont le netsuke aurait pu se positionner sur le kimono.

Par ailleurs, devant l’engouement occidental pour la collection de ces objets, les netsuke-shi prolongent leur savoir-faire sur de plus grandes statuettes (quelques dizaines de centimètres en général), uniquement décoratives, les okimono, qui offrent un support plus vaste à de savantes et minutieuses compositions. Il devient parfois difficile de déterminer s’il s’agit d’un petit okimono ou d’un grand netsuke.

LES COLLECTIONS JAPONAISES DES MUSEES DE SAINT-OMER

En plus du lot de netsukes, le dépôt effectué en 1907 par le musée du Louvre au museum de Saint-Omer comprend d’autres objets japonais, notamment un lot de 71 tsubas (gardes de sabre) (ill.5).

Ill. 5 Tsuba ronde à décor ajouré, Anonyme, Japon, 19e siècle, fer, or (incrustation), Saint-Omer, musée de l’hôtel Sandelin, D. 07.1.25 (12) ; Musée national des arts asiatiques - Guimet, inv. 7493

En mai 1932, le legs d’Eugène Pley fait entrer d’autres œuvres japonaises au sein du musée de l’hôtel Sandelin : 21 estampes (ill. 6), 20 tsubas et 14 autres objets. Eugène Pley (1863-1932), né à Saint-Omer, exerçait la médecine à Paris et il est probable qu’il ait acquis plusieurs de ses estampes japonaises chez les marchands d’art japonais les plus réputés dans les années 1890, Tadamasa Hayashi et Siegfried Bing.

Ill. 6 Trois bijin à leur toilette Kiyonaga Torii Japon, v. 1781-1784, gravure sur bois, décor polychrome Saint-Omer, musée de l’hôtel Sandelin, inv. 2004.0.032

Enfin, il est probable que certaines estampes conservées au musée de l’hôtel Sandelin proviennent du legs d’Henri Dupuis fait en 1889 à la ville de Saint-Omer. La présence d’objets d’art asiatiques au sein des musées de Saint-Omer a peut-être justifié le dépôt du don Lebaudy en 1907.

Contrairement aux objets de la collection Campana déposés au museum de Saint-Omer en 1863, le dépôt de la collection Tronquois - Lebaudy ne pourra faire l’objet d’un transfert de propriété au bénéfice du musée de l’hôtel Sandelin. En effet, si en 2011 un arrêté du Ministère de la Culture propose de transférer de propriété des collections déposées avant 1910 aux collectivités qui en avaient la charge, ce transfert ne peut s’appliquer aux dons et legs faits au musée déposant.

Logo Ville de saint Omer
Logo Caso
Logo Pas de Calais Département
Logo région Nord Pas de Calais
Logo Interreg
Logo Europe
Logo Région Saint-Omer