L’œuvre

Attribué à Jean-François de Le Motte, ce trompe-l’œil est entré dans les collections des musées de Saint-Omer grâce au collectionneur audomarois Henri Dupuis qui, en 1889, légua à la Ville sa maison et l’ensemble des collections qu’elle abritait. D’abord exposé au Musée Henri Dupuis, le Trompe-l’œil de Jean-François de Le Motte fut déposé au Musée de l’hôtel Sandelin avant les travaux de rénovation et de restructuration de 2004.
Peu d’éléments biographiques permettent de retracer la vie du peintre. Actif de 1653 à 1685, il habitait à Tournai où il entra à la guilde de Saint-Luc dès 1653. Rendu célèbre pour l’ornementation des arcs de triomphe de l’Entrée de Louis XIV à Tournai en 1670, l’essentiel de son œuvre réside dans la peinture de trompe-l’œil dont une dizaine d’exemplaires a été recensée, révélant les contacts de l’artiste avec le milieu des Pays-Bas, notamment C. N. Gysbrechts (Ill. 2 et 3).

 

Ill. 2 Cornelius Norbertus Gijsbrechts, Trompe-l’oeil avec mur d’atelier et nature-morte, 1668, huile sur toile, Copenhague, Statens Museum for Kunst, inv. KMS st 537

     

Ill.3 Jean-François de Le Motte, Vanité et Trompe-l’oeil, 1676, huile sur toile, Dijon, Musée des Beaux-Arts, inv. CA 692

Description et analyse de la composition

L’œuvre présente, au sein d’un cadre noir peint en trompe-l’oeil, un pêle-mêle d’écrits, carnets, ouvrages et accessoires de correspondance retenus par des rubans de cuir rouge cloués sur une planche de bois clair. La composition, fermée à l’arrière plan par le fond de planche de bois qui réduit le champ perspectif à cette mise en scène insolite d’objets, représentés dans un apparent désordre, intrigue. Le peintre joue avec le spectateur, donne à lire puis dissimule les écrits sous d’autres objets, en représente certains comme au bord de la chute et parvient, par un jeu subtil d’ombres et de lumières et la finesse de l’exécution, à donner l’illusion de vrais objets, pour certains sortis du cadre, lui-même peint en trompe-l’oeil. En y regardant de plus près, le peintre offre des clefs de lecture de ce pêle-mêle d’objets à celui qui tente d’y pénétrer. Depuis le coin supérieur gauche, l’oeil est guidé par l’oblique de la plume cassée, et d’abord attiré par l’almanach, ouvert à la page de titre, qui indique la date de 1669. À droite, la deuxième plume vient désigner le carnet en cuir naturel dont les liens dénouées guident le regard jusqu’au cachet de cire rouge scellant les feuillets de gravures, dont un paysage rocheux signé «J AD », qui semblent ainsi être fixés en suspension.

L’oblique de la plume noire et des grandes feuilles manuscrites glissées derrière, se prolongeant aux documents manuscrits de gauche, orientés de la même manière, dans un mouvement de diagonale descendante, offre un point d’entrée dans l’œuvre et crée un mouvement de déséquilibre à l’ensemble, contrecarré par le mouvement oblique inverse de l’enveloppe décachetée qui semble sur le point de glisser au bas du tableau et par celui que forment, à gauche, l’enchainement des feuilles de papier vierge et de la plume blanche. Rythmant la composition, ces savants jeux d’obliques assurent la circulation fluide et continue du regard entre les divers objets représentés. Seuls éléments droits de l’ensemble, les gravures, l’almanach, le quadrillage de rubans rouge et le cadre noir constituent par ailleurs les seules lignes de force géométriquement stables permettant d’assoir et d’harmoniser la composition. Cet équilibre est également assuré par la répartition subtile des touches de bleu des couvertures de carnets auxquelles répondent le rouge des bâtons de cire, du sceau et des lanières de cuir qui viennent rehausser les harmonies de blond et de brun du bois et des carnets de cuir et de blanc grisâtre du papier.

Trompe-l’œil, "quolibet" et vanité

Mais que signifie cette mise en scène ?
Soigneusement organisés, ces objets suscitent la curiosité du spectateur et l’incitent à les déchiffrer. Si la date de 1669 indiquée sur l’almanach (permettant peut-être de dater l’œuvre), l’enveloppe décachetée dévoilant le nom et l’adresse de son destinataire «Monsieur Lonnet, procureur au conseil souverain, A tournay» (qui pourrait être une allusion au commanditaire de l’œuvre), les quelques écrits et la signature «J AD» de la gravure restent sujets à interprétation, la mention de la ville de Tournai confirme indubitablement l’attribution de l’œuvre à Jean-François de Le Motte. Il a en effet été établi que l’artiste usait parfois de ce subterfuge pour signer son œuvre, la mention de sa ville natale remplaçant alors son nom.

L’ensemble offre par ailleurs un exemple caractéristique de quolibet, littéralement «tout ce qui plaira», assemblage fortuit de papiers pliés, de carnets et autres accessoires de correspondance fixés sur un mur, qui devint l’un des sujets favoris du trompe-l’œil vers 1650. Il était en effet habituel au 17e siècle de fixer sur le mur quelques planches de sapin sur lesquelles on clouait un ruban ou une lanière servant à maintenir des lettres, documents, dessins et autres objets. Cet arrangement constituait pour le trompe-l’œil, un sujet idéal permettant aux artistes de démontrer leur virtuosité.

À l’instar des natures mortes, ces quolibets de carnets défraichis et de feuilles pliées, évoquent également le motif de la «vanité» mettant en scène la précarité des objets qui se dégradent et se déchirent. Au 17e siècle, les vanités connaissent en effet un essor considérable et se multiplient dans toute la production artistique européenne, jouant souvent sur des procédés de trompe-l’œil et d’illusion pour conduire le spectateur à réfléchir sur la vanité des apparences.

L’œuvre de Jean-François de Le Motte conservée au Musée de l’hôtel Sandelin n’échappe pas à cette règle. Chacun des objets si minutieusement représenté nous révèle la précarité de l’existence. Le peintre a d’abord glissé un almanach, symbole du passage du temps dont les feuilles pliées, les couvertures cornées, les plumes cassée ou usagée portent les stigmates. À gauche, le bâton de cire encore neuf placé sur les feuilles de papier vierge d’écrits est aussi voué à disparaître. Il n’est plus, en haut de la composition, qu’un bout de cire fondue que l’on vient de porter à la flamme pour marquer un sceau et que l’on a négligemment essuyé sur du papier. Chaque objet semble d’ailleurs en sursis, maintenu dans un équilibre instable et précaire, au bord de la chute et rappelle au spectateur la nature passagère et vaine de la vie humaine.

Mises en regard d’autres trompe-l’œil de l’artiste

Parmi la dizaine de trompe-l’œil attribués à Jean-François de Le Motte, notons les deux tableaux conservés au Musée de Dijon (Ill. 3, inv. CA 692 et inv. 4347), un trompe-l’œil du Musée des Beaux-arts de Strasbourg (Inv. 1749), et celui du musée des Beaux-Arts d’Arras (Ill. 4, inv. 945.94).

Ill.4 Jean-François de Le Motte, Trompe-l’oeil, 1667, huile sur toile, Arras, Musée des Beaux-Arts d’Arras, inv. 945.94

On y retrouve comme dans chaque trompe-l’œil de l’artiste, le fond constitué par une planche de bois ou un assemblage de planches, piquées de nœuds sur lequel sont fixés divers objets et la symbolique omniprésente de la « vanité ». Dans l’œuvre d’Arras (Ill. 4), le foisonnement habituel d’objets laisse place à une composition d’une extrême simplicité, réduite à la représentation de quelques accessoires de correspondance. Comme dans l’œuvre de Saint-Omer, la présence de la syllabe «Nay» associé au terme «ville» fait office de signature. La Vanité et trompe-l’œil (Ill. 3) conservée à Dijon se distingue par la subtilité du sujet. L’œuvre ajoute en effet aux motifs de feuilles froissées, de gravures et d’accessoires de correspondance, une toile représentant une niche en trompe-l’œil dans laquelle s’entassent parmi d’autres objets, un crâne coiffé d’une couronne de blé desséché, une bougie achevant de se consumer et un sablier marquant la fragilité de la vie. Le peintre a ici poussé l’illusion jusqu’à représenter un trompe-l’œil dans un trompe-l’œil, la toile qui s’enroule dans l’angle gauche, interrogeant également le caractère vain de la peinture elle-même.

L’évolution du trompe-l’œil au 18e siècle

Au 18e siècle, des peintres comme Dominique Doncre ou Louis-Léopold Boilly excelleront dans l’art du trompe-l’oeil, reprenant les motifs de porte-lettres ou d’accumulations d’objets pêle-mêle dans des compositions plus conventionnelles, prétexte à la seule démonstration de leur virtuosité technique et jouant, non sans humour, avec le regard du spectateur. En témoigne le Trompe-l’oeil de Dominique Doncre, conservé au Musée des Beaux-Arts d’Arras (Ill. 5).

Ill.5 Dominique Doncre, Trompe-l’oeil, 1785, huile sur toile, Arras, Musée des Beaux-Arts, inv. 863.1.2

Le peintre s’est mis en scène sur une gravure, se présentant en sa qualité de peintre «ego sum pictor» et s’est également amusé à glisser sa signature et la date de l’œuvre sur un cartel placé sur le cadre peint en trompe-l’œil.

Dans Le portrait d’homme au verre brisé conservé au Musée de l’hôtel Sandelin (Ill. 6), Louis-Léopold Boilly pousse l’illusion jusqu’à représenter un portrait à la manière de l’estampe recouvert d’un verre brisé feint.

Ill.6 Louis-Léopold Boilly, Porrtait d’homme au verre brisé, vers 1800, huile sur toile, Saint-Omer, Musée de l’hôtel Sandelin, inv. 325 CM

Entre prouesse technique rivalisant avec la réalité et mise en scène sophistiquée d’humbles objets, le trompe-l’œil intrigue, fascine et dupe. Véritable provocation de l’esprit, il exige du spectateur qui tente d’en décrypter la symbolique un regard attentif et une réflexion soutenue.

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