Les ressources en ligne des musées L'oeuvre du mois Deux pipes figurant des personnages sur une bicyclette

UNE CURIEUSE COLLECTION

Le musée de l’hôtel Sandelin présente dans l’une de ses salles une partie sa collection d’environ deux milles pipes et sujets en terre à pipe donnée en 1909 par Madame Duméril, veuve du pipier audomarois Emile Duméril.

Encore surprenant de nos jours de trouver une telle collection au milieu d’œuvres d’art, il n’était guère plus évident d’ériger ces pipes au rang d’objets dignes d’être présentés au sein d’un musée au début du 20e siècle. En effet, la commission d’histoire naturelle, en son registre de délibérations, atteste qu’au départ les membres de la commission n’étaient pas disposés à accepter cette donation, considérant que les pipes en terre cuite appartenaient aux productions industrielles. Finalement, après discussion, elle accepta le don, en souvenir d’une activité jadis florissante.

LE TABAC DE SAINT-OMER

Cette collection permet d’évoquer deux activités auparavant réputées de la région audomaroise : la culture du tabac d’une part et la fabrication de pipes en terre d’autre part.

A partir de des années 1630 le tabac est cultivé dans l’Audomarois et contribue à la richesse de la région. Vers 1660, la première manufacture de tabac est créée à Saint-Omer puis d’autres s’y installeront progressivement de sorte que l’on en dénombre 17 en 1750 et 28 en 1789. A cette date, plus de 450 ouvriers produisent un tabac qui, ajouté aux tabac provenant de Flandre, Hollande, Amérique ou Orient, constitue le « Tabac de Saint-Omer » dont témoigne encore le pot à tabac conservé au musée de l’hôtel Sandelin (ill. 3).

Ill. 3 Manufacture Saladin-Lévesque, Pot à tabac Saint-Omer, vers 1780, faïence, peint à grand feu (décor polychrome) Saint-Omer, Musée de l’hôtel Sandelin, inv. 6455

Cette production de tabac va favoriser l’installation de fabricants de pipes, également  appelés « pipiers », à Saint-Omer. D’autres facteurs permettront le développement de piperies audomaroises tels que la situation de la ville au bord de l’Aa, la main-d’œuvre abondante et spécialisée, pouvant venir des Pays-Bas ou de Belgique, pays ayant une longue tradition dans la fabrication des pipes ou encore la proximité de gisements de terre à pipe tels que ceux de Desvres, Mons ou d’Ardenne.

LES PIPIERS DE SAINT-OMER

Dès le début du 18e siècle est fondée la première fabrique de pipes à Saint-Omer. Située au sein de l'Hôpital général de la ville, elle possédait son propre four et disposait d’une main-d’œuvre dont le coût était moins élevé que la matière première importée de Desvres, de Mons ou des Ardennes puisqu’il s’agissait des pensionnaires de l'hôpital. Cependant, les bénéfices se révélant insuffisant pour couvrir les dépenses de fonctionnement, la piperie de l’hôpital fermera définitivement le25 mai 1794.

Par ailleurs, deux manufactures produiront des pipes qui feront la renommée mondiale des pipes de Saint-Omer : celle fondée par Thomas Fiolet en 1765 et celle dirigée par Constant Duméril à partir de1845. Aux côtés d’autres manufactures telles que Bonnaud de Marseille, Gambier et Blanc-Garin de Givet ou encore Job Clerc de Saint-Quentin-la-Poterie, elles compteront parmi les plus importantes en France aux 18e et 19e siècles.

La manufacture Fiolet est fondée en  1765 par Thomas Fiolet venu de Desvres en 1763. A son plein essor au 19e siècle, elle emploie plus de 700 ouvriers et exporte dans le monde entier. Subissant les conséquences de nouveaux modes de consommation du tabac avec le développement de la pipe en bruyère, du cigare et de la cigarette, et malgré une diversification de la production, notamment la fabrication de personnages en terre à pipe, la manufacture périclite et ferme ses portes en 1921

La piperie Fiolet a pour concurrent la fabrique Duméril fondée en 1845 par Constant Duméril dont sont issues les deux pipes figurant des personnages faisant de la bicyclette.

DEUX PIPES PROVENANT DE LA FABRIQUE DUMERIL-BOUVEUR

Constant Duméril, fondateur de la manufacture éponyme, est avant tout un politicien : conseiller municipal de Saint-Omer dès 1834, juge de la chambre de commerce, maire en 1871 et 1872, administrateur des hospices civils et manufacturier dirigeant une fabrique de pipes.

Un peu moins importante que celle de Fiolet, la fabrique Duméril emploie entre 300 et 400 ouvriers et produit deux fois moins. Emile-Charles Constant (1833-1899), un des trois fils du fondateur lui succède. Il s’associe à Emile-Bouveur pour la direction de la fabrique. Les ateliers sont installés au nord de la ville, rue de Cassel, au bord de la rivière des Salines. Duméril exporte dans la France entière, dans les colonies françaises, en Belgique, Piémont, Espagne, Afrique, Angleterre, Australie, Amérique et fonde des succursales, notamment à Londres. En outre, la fabrique Duméril-Leurs remet un brevet pour la « confection des tuyaux déprimés » (1847), la « fabrication des pipes à pompes respiratoires déversives » (1852) et « un système de pipes à rainures dites de salubrité » (1860). Comme Fiolet, Duméril a diversifié sa production en fabriquant notamment des petits sujets en terre à pipe, essentiellement de petits soldats, encore conservés et présentés dans la salle des pipes du musée de l’hôtel Sandelin.

En 1886, soit 41 ans après son ouverture, la piperie ferme ses portes en raison de la concurrence de la cigarette, des cigares et de la pipe en bois.

Les pipes présentées sont issues de la fabrique Duméril-Bouveur tel que l’inscription« Duméril Bouveur St. Omer » l’indique. La pipe figurant une femme est peinte avec des rehauts de jaune, bleu, vert et noir tandis que celle figurant l’homme et entièrement blanche. Les deux personnages constituent le fourneau ou « tête de pipe » et sont représentés conduisant une bicyclette, alors récemment inventée, dont les pédales se trouvent sur la roue avant et munie d’une lampe située au centre du guidon.

La jeune dame est chaussée de bottines noires, est vêtue d’un pantalon et d’un chemisier à col montant. En outre, elle porte une paire de boucles d’oreilles et est coiffée d’un chignon ceinturé d’un ruban, la coiffure est agrémentée de petits bijoux, d’une petite fleur rose placée sur la tempe droite ainsi que d’un chapeau bleu orné de longues feuilles vertes. Ses bras sont tendus, les mains posées sur le guidon de la bicyclette. Les traits de son visage son réguliers, elle est maquillée d’un rouge à lèvres et a les sourcils fins et bien dessinés.

A cette dame élégante et jolie s’oppose l’homme figuré sur la seconde pipe. Dans une attitude similaire, les bras tendus, les mains posées sur le guidon de la bicyclette et regardant droit devant lui, il conduit le vélo. Il porte des bottines, un pantalon ainsi qu’une chemise à col montant. Il est coiffé d’une casquette et porte des favoris (Touffe de barbe laissée sur chaque joue). Son visage est jovial et les traits en sont accentués voire caricaturés : de grands yeux, un nez proéminent et une grande bouche ouverte.

Réalisées au 19e siècle, ces deux pipes figurant deux personnages sur leur bicyclette sont bien ancrées dans leur époque.

SCENES DE TABAGIE

Illustrant la pipe comme moyen de consommation du tabac, des scènes de tabagie sont conservées au musée de l’hôtel Sandelin. Parmi eux l’Intérieur de cabaret de Cornelisz Pietersz Bega (ill.4) et le Fumeur d’Abraham  Diepraem (ill.5).

Le premier tableau figure six personnages dans une auberge. Au centre de la composition une femme se tient debout et apporte une boisson dans un cruchon en grès. Cinq hommes entourent la serveuse, l’un d’eux, assis à gauche, tient un pichet dans la main gauche et verse la boisson qu’il contient dans un verre qu’il tient de la main droite. Face à lui, à droite de la composition, un personnage tient une pipe en terre dans la main droite.

Ill. 4 Cornelisz Pietersz Bega, Intérieur de cabaret Pays-Bas, 3e quart 17e siècle, huile sur bois Saint-Omer, Musée de l’hôtel Sandelin, inv. 0275 CM

Le tableau d’Abraham Diepram figure quant à lui un personnage assis, appuyé sur une table, tenant un morceau de pain dans la main droite et une pipe dans la main gauche. Une bouteille est par ailleurs représentée à droite de la composition.

Ill. 5 Abraham (ou Arent) Diepram, Un fumeur Pays-Bas, 17e siècle, huile sur bois Saint-Omer, Musée de l’hôtel Sandelin, inv. 0244 CM

Ces deux peintures hollandaises du 17e siècle sont caractéristiques d’un type de scène de genre figurant des « scènes de mauvaise vie dans un intérieur ». Des réunions de fumeurs, de buveurs ou encore de joueurs sont des aspects de la vie sociale qualifiés à l’époque de répréhensibles. Au 17e siècle, en Hollande, fumer est un vice et, dans nos deux tableaux, ce vice est accentué par l’aspect des personnages, rustres paysans caricaturés par les artistes.

Au 19e siècle, en France, il est courant de fumer la pipe et la production quantitativement et qualitativement importante des pipiers de Saint-Omer démontre une certaine valeur de la pipe comme objet du quotidien.

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