Cette huile sur toile datant du XVIIe siècle a récemment été sortie des réserves des musées de Saint-Omer. Elle faisait partie des oeuvres léguées par le collectionneur Henri Dupuis à la Ville de Saint-Omer, à sa mort en 1889. Celle-ci représente un vieil homme effrayé par un squelette tandis qu’un jeune page lui apporte une boisson. Ce tableau présente de nombreux symboles qu’il convient de décrypter pour en saisir tout le sens.

UNE ŒUVRE NARRATIVE

La scène se déroule dans un intérieur richement décoré, si l’on en juge par les tableaux de l’arrière plan et la massivité du buffet qui rappelle le mobilier flamand. Une longue table, occupe à elle seule toute la partie droite du tableau. Sur cette table sont disposés de nombreux objets comme un coffret ouvert, des sacs remplis de pièces, des éléments de vaisselle, ou encore des perles. Tous ces biens témoignent de la richesse du propriétaire. Celui-ci est également représenté. C’est un homme d’un certain âge, assis sur une chaise et vêtu d’un manteau au col de fourrure. On distingue un pendentif en or à son cou. Bien que l’identité du vieil homme soit inconnue, tout est fait pour mettre en avant son aisance matérielle.

Sur la gauche du tableau, un squelette vêtu d’un drapé et d’un chapeau à plumes vient rendre visite au vieil homme. Bien que celui-ci ait un mouvement de recul, il ne semble pas terrifié par son visiteur. Pendant ce temps, un jeune serviteur lui apporte une boisson. La forme du pichet qu’il tient dans sa main gauche peut d’ailleurs être comparée à celle de pichets, datant du XVIIe, exposés dans le cabinet Renaissance du musée de l’hôtel Sandelin. Le titre de l’œuvre, Le vieil homme riche et la mort, explique la scène. Ce squelette symbolise en effet la Mort qui vient chercher le vieillard à la fin de sa vie terrestre.

ALORS ON DANSE ?

La représentation de squelettes en mouvement et dansant ne date cependant pas du XVIIe siècle. Les "danses macabres" ont été particulièrement représentées au cours du XVe siècle sur les murs d’églises. Ces fresques rappelaient alors, dans une période troublée par les famines et les épidémies de peste, que la Mort fauchait de manière égale, quel que soit le statut social. On trouve en France plusieurs exemples de danses macabres, dont un dans l’abbaye de La Chaise-Dieu en Haute-Loire. Les collections du musée de l’hôtel Sandelin comptent également des fragments d’un tombeau en terre émaillé, celui de Guillaume Fillastre, qui fut Abbé de Saint Bertin.
Il a été réalisé vers 1469- 1470 et comporte un squelette drapé dont l’esthétique rappelle celui des danses macabres (ill.2).

Ill. 2 Andrea Della Robbia, La Mort et l’épitaphe Florence, vers 1469-1470, Terre cuite émaillée Saint-Omer, Musée de l’hôtel Sandelin, inv. 2795 ter

Ce motif a perduré dans les siècles suivants. Par exemple au XVIe siècle, Hans Holbein le Jeune réalisa une série de gravures sur bois représentant la Danse de la Mort. Un squelette fait irruption dans la vie des protagonistes, qu’ils soient nobles ou paysans, afin de les tirer de leurs activités quotidiennes.

« VANITÉ DES VANITÉS ET TOUT EST VANITÉ ! »

Le tableau du musée de l’hôtel Sandelin est à rapprocher de la famille des Vanités comme l’indique le premier mot du titre. La Vanité est un type de nature morte particulièrement populaire au XVIIe siècle dans les Pays-Bas septentrionaux, alors majoritairement calvinistes. Les vanités appellent à la modération des passions, rappellent la futilité et la condamnation des plaisirs et, la temporalité de l’existence.Il s’agit en effet de faire passer ces messages à travers la représentation d’objets symboliques. Le thème de la vanité provient également d’une tradition littéraire chrétienne.

Dans l’Ecclésiaste, il est écrit «vanitas vanitatum et omnia vanitas» qui se traduit par «vanité des vanités, tout est vanité». Même si de nombreuses vanités proviennent des Pays-Bas septentrionaux, leur représentation n’est pas réservée à la religion réformée. Ce type de nature morte a également trouvé un écho dans les images de la Contre-Réforme ou Réforme Catholique qui débuta au XVIe siècle. Ceci explique pourquoi la toile présentée au musée de l’hôtel Sandelin pourrait bien être une peinture flamande, bien que l’oeuvre soit anonyme.
Au cours du XVIIe siècle, de nombreux saints et saintes ont ainsi été représentés en compagnie d’un crâne. On peut citer par exemple Saint François en méditation de Franscisco de Zurbarán, conservé à la National Gallery de Londres, ou Sainte Madeleine renonçant aux vanités de ce monde (ill. 3), peint par Caspard de Crayer et conservé aux Musée des Beaux-Arts de Valenciennes.

Ill. 3 Caspard de Crayer Sainte Madeleine renonçant aux vanités de ce monde, Flandres, XVIIe siècle, huile sur toile, Valenciennes, Musée des Beaux-Arts, inv. P. 46.1.72.

Les musées de Saint-Omer possèdent également un tableau anonyme représentant Saint Jérôme méditant, actuellement conservé dans les réserves des musées (Ill. 4).

Ill. 4 Anonyme, Saint Jérôme méditant 4e quart XVe siècle ou 1er quart XVIe siècle Huile sur bois, Saint-Omer, Musée de l’hôtel Sandelin, inv. 0344 CD.

UN ENSEMBLE DE SYMBOLES

Les ossements et plus particulièrement le crâne, sont très souvent employés dans les vanités, comme dans une Vanité de Cornelis Gijsbrechts, conservée au musée des Beaux-Arts de Strasbourg. Ces crânes, aussi appelés momento mori, ce qui peut se traduire par «souviens-toi que tu vas mourir», étaient à l’origine des objets de piété destinés à favoriser une méditation sur la mort. Au-delà du crâne, de nombreux objets symbolisent cette vanité et le côté éphémère de la vie sur terre. Bon nombre de ces objets sont d’ailleurs représentés dans Vanité. Le vieil homme riche et la mort. L’historien de l’art et professeur suédois Ingvar Bergström (1913-1996) avait classé ces objets selon trois thèmes :
- L’existence de l’homme sur terre
- Le caractère éphémère de l’existence
- Les symboles de résurrection et de vie éternelle

Parmi les symboles de l’existence de l’homme sur terre, il y a les symboles de pouvoir et de possessions matérielles (bourses, argenterie, pièces, bijoux….) On trouve également les symboles des activités ludiques et de jouissance, arts et sciences (instruments de musique, tableaux). En ce qui concerne le caractère éphémère de l’existence, il y a bien sûr le crâne mais également les instruments de mesure du temps (sablier). Toutes les choses à caractère éphémère sont porteuses de cette symbolique. Il n’est donc pas rare de rencontrer des fruits ou des fleurs. Le citron pelé et lui aussi associé au temps qui passe. Celui-ci se trouve d’ailleurs dans l’huile sur toile nommée Dessert de fruits d’Alexander Coosemans présentée dans le cabinet flamand du musée de l’hôtel Sandelin et datant de la seconde moitié du XVIIe siècle (Ill.5). Le verre que tient le jeune page est d’ailleurs du même type que celui présenté sur le tableau de Coosemans.

Ill. 5 Alexander Coosemans, Le dessert de fruits, Flandre, 2e moitié XVIIe siècle, huile sur toile, Inv. 0323 CD.

UNE ŒUVRE DIDACTIQUE

Même si l’œuvre présentée ici est très codifiée, elle véhicule un message et une morale que chacun peut comprendre. D’ailleurs la composition du tableau met en avant son caractère didactique.

L’œuvre se divise clairement en deux parties. Sur la gauche, le vieil homme et le squelette rappellent une danse macabre, tandis que sur la droite, on observe une nature morte remplie d’éléments symboliques. L’ artiste a utilisé la couleur rouge à plusieurs reprises : sur le chapeau du squelette, sur le chausson du vieil homme et sur la nappe. Cette couleur vive tranche avec le décor sombre et guide l’oeil du spectateur d’un point à l’autre du tableau. Le spectateur identifie ainsi rapidement les composants principaux de l’œuvre, à savoir, la Mort, le vieil homme et la nature morte.

Cependant ce tableau garde un certain mystère. Tout d’abord, il n’y a pas de signature et la qualité de l’exécution est parfois inégale. La manche droite du page par exemple, et l’assiette qu’il tient sont réalisées assez grossièrement. De même, la perspective manque parfois de réalisme. Le squelette, quant à lui, n’est pas composé exclusivement d’ossements. La clavicule est celle d’un vivant et la jambe semble inachevée. La question est, est-ce voulu ou est-ce le résultat du manque d’expérience de l’artiste ? La composition de l’œuvre et le sujet représenté témoignent, certes, des goûts du XVIIe siècle, et le mélange des genres rappelle les œuvres flamandes de l’époque, mais le manque de finesse dans l’exécution laisse penser qu’il s’agit du travail d’un artiste encore inexpérimenté.

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