DU FLEUVE CONGO AUX RIVES DE L'AA...

Nous ignorons malheureusement tout aujourd’hui de l’origine de ces deux statuettes probablement rapportées d’Afrique centrale à la fin du 19e siècle ou au cours du 20e siècle jusqu’à Saint-Omer.
On dénombre à ce jour plus de 150 pièces d’origine africaine dans les collections publiques audomaroises qui proviennent principalement des anciens territoires de l’Afrique Equatoriale Française (Cameroun, Gabon, Congo, …). On les identifie à leur style mais également grâce à quelques étiquettes qui subsistent et laissent deviner une écriture à la plume soignée où l’on lit encore quelques provenances (« Pipe du Cameroun », « rivière Sangha », etc.).
La présence de ces collections africaines à Saint-Omer est-elle une surprise ? Non. Dans de nombreuses villes de France, il existe des fonds plus ou moins conséquents d’art africain, arrivés dans les collections souvent suite à des dons de personnalités locales, dans une fourchette concentrée entre la fin du 19e siècle et les années 1970. Dans la région Nord Pas-de-Calais, les principales collections présentées au public aujourd’hui sont celles du Muséum d’histoire naturelle de Lille et du Musée-château de Boulogne-sur-Mer.
Le récolement et des recherches sur ce fonds nous permettront peut-être d’en savoir bientôt davantage sur le(s) nom(s) de ce(s) missionnaire(s), voyageur(s) ou collectionneur(s) audomarois à l’origine de cette collection.

UN DOUBLE TEMOIGNAGE...

La présence de ces deux statuettes téké à Saint-Omer constitue un double témoignage. Tout d’abord, celui  de plus 80 ans de relations coloniales entre la France et l’Afrique, marquées notamment par des figures pionnières comme Pierre Savorgnan de Brazza (1852-1905), célèbre explorateur de la IIIe République qui en pénétrant l’intérieur des terres de l’actuel Gabon en 1874 ouvrit la voie à la colonisation française en Afrique centrale (Ill. 2).

Ill. 2 Réception de M. de Brazza par le roi Makoko Dans L’illustration, 1882

Ces statuettes sont également et avant tout le témoignage de productions artistiques téké. La population téké est principalement localisée entre la région de Franceville au sud du Gabon et les rives du fleuve Congo dans l’actuelle République du Congo (capitale, Brazzaville) et la République Démocratique du Congo (capitale, Kinshasa). Les téké auraient fondés au VIIIe siècle le royaume de Makoko qui voit la perte de son autonomie politique en 1880, suite à la signature du traité de protectorat entre
Pierre Savorgnan de Brazza pour la France, et le souverain Illoy Ier, Makoko de Mbe, pour le royaume téké. Ce protectorat offre aux téké avantages commerciaux et affaiblissement de leurs ennemis et permet à la France de s’établir à  Ncouna sur le fleuve Congo, future Brazzaville.

DES STATUETTES PROTECTRICES

Ces deux figures anthropomorphes, en pied, présentent une attitude frontale, hiératique, des formes stylisées, angulaires et des visages aux stries longitudinales, caractéristiques de l’art téké. La taille monoxyle (en un seul morceau de bois) contraint les bras à être représentés collés au corps.
Ces figures peuvent être rapprochées du corpus des statuettes protectrices personnelles téké. Cette typologie large regroupe un foisonnement de statuettes aux significations et pouvoirs divers (protecteurs de maison, incarnation d’ancêtre, etc.).  La démarche initiale est toutefois commune, les sculptures de bois non chargées étaient vendues sur le marché. Leur activation prend effet suite à la consultation d’un devin-guérisseur appelé ngaa qui compose et applique la charge selon la finalité souhaitée. C’est à partir de ce moment que l’objet acquiert toute sa valeur pour le propriétaire.
On remarque ici que les deux statuettes comportent une cavité abdominale, appelée bilongo, destinée à recevoir les charmes. L’absence de trace d’usage sur la plus petite des statuettes laisse penser qu’elle a pu être achetée sur le marché sans jamais avoir été chargée. La plus grande conserve les traces d’une patine croûteuse, notamment sur les pieds, qui permet de supposer qu’il s’agit de traces d’usage, probablement de libations.
Malgré l’absence de documentation sur le contexte de production et d’acquisition de ces œuvres, la confrontation de ces deux œuvres nous permet d’évoquer la variété des circuits de constitution de collections en Europe. Si certaines pièces ont pu être spoliées, d’autres ont été acquises auprès d’officiants, d’autres de commerçants.
Cette confrontation nous permet également de relever, malgré le caractère anonyme des deux figures, les différences entre deux mains, au-delà d’une grammaire commune.
Tour à tour considérés objets de curiosité, butins de guerre, objets ethnologiques, œuvres d’art nègre puis d’art africain… Ces collections africaines souvent présentées aux côtés des « naturalia » au 19e siècle, puis dans les musées d’art à partir des années 1960, nous montrent des œuvres polysémiques qui nous ouvrent bien plus qu’une fenêtre sur un autre continent mais nous donnent à réfléchir sur les relations entre l’Europe et l’Afrique.

Ill. 3 Un aperçu des collections africaines du musée de l’hôtel Sandelin
Logo Ville de saint Omer
Logo Caso
Logo Pas de Calais Département
Logo région Nord Pas de Calais
Logo Interreg
Logo Europe
Logo Région Saint-Omer